Carnet de bord du 8 au 15 septembre 2024
« Dimanche 8 septembre, après quelques péripéties de voyage, le dernier équipage de l’expédition arctique retrouve le voilier Que Sera. Emilien, Estelle, Marion et Corentin profitent d’un repos plus que mérité après un passage du Nord-Ouest réussi. Thibaut continue et reprend le poste de capitaine avec pour équipage : Mathieu et Josep comme marins, l’artiste Charlotte pour la publication Sillages, et Cédric à la caméra. L’objectif est de descendre jusqu’à Lewisporte situé sur l’île de Terre-Neuve, soit environ 1 300 milles nautiques plus au sud ce qui équivaut plus ou moins à 2 780 kilomètres.
Avant de partir, nous sommes invités par Bella et Maritha, deux sœurs qui habitent Qeqertarsuaq. « This is the second Pacifique’s house. » Les mots ne mentent pas, le repas est incroyablement généreux. Depuis notre premier hivernage avec Mauritius, les équipes de Pacifique sont merveilleusement accueillies dans le village inuit. Retour au bateau sur le coup de 22h.
Au matin vers 9h, Emilien vient une dernière fois échanger avec Thibaut sur les meilleures options pour ces prochains jours. Le départ se fait dans la foulée avec un grand soleil et un léger vent de travers. Quelques icebergs imposants dérivent lentement… impassibles. Aucun growler à l’horizon, c’est plutôt bon signe. La mer de Baffin est pour l’instant aussi hospitalière que ses habitants. Un souffle rauque vient troubler la quiétude du départ : des baleines. À une trentaine de mètres de Que Sera, plusieurs cétacés viennent prendre acte de notre départ. D’autres souffles lointains se succèdent, cette première navigation s’annonce splendide. Après une nuit pour prendre la mesure du froid, le soleil revient. Des couleurs roses orangées éclairent la côte groenlandaise. Vers 17 h, nous dépassons les maisons colorées de Sisimiut pour un mouillage quelques milles plus au sud. La pause sera de courte durée car demain, c’est la traversée de la mer de Baffin qui débute.
L’ancre est levée à 8h16, pas question de traîner. Direction sud-ouest sous un grand soleil ; au loin, un banc de dauphins montre le cap. Le vent est timide, et un appui moteur est nécessaire pour atteindre la vitesse de 5,5 nœuds. Rapidement, un épais brouillard s’installe et la visibilité devient quasi nulle. Nous naviguons de banc de brume en banc de brume, parfois dans une clairière de beau temps entourée d’un mur blanc.
La nuit tombe et quelques fébriles aurores boréales font leur apparition. Elles sont encore timides à cette époque de l’année. Soudain, un point rouge sur le radar. Un rapide coup de jumelles dans la pénombre, mais difficile de discerner quoi que ce soit. En plissant les yeux, une masse blanchâtre se détache de l’horizon : un iceberg solitaire. Par sécurité, Thibaut modifie la trajectoire pour passer au large ; le reste de la nuit se déroulera sans encombre.
Calme plat. Toujours pas de vent. Le ronronnement du moteur est devenu habituel et résonne dans le ventre de Que Sera. On tente de dérouler le génois, mais sans franc succès. Il « flap ». Malgré tout, le soleil est au rendez-vous. Josep tente de résoudre son rubik’s cube à 16 carrés… il lui manque le dernier mouvement. Quelques flocons de neige viennent perturber la nuit, des reflets blancs qui s’ajoutent à ceux des fulmars qui nous suivent depuis le départ.
L’équipage continue de naviguer sur une mer d’huile. Enfin ! Dans la matinée un léger vent de travers se lève et nous hissons la grand voile. Mais Éole se joue de nous. À peine quelques minutes, tout retombe. Il faut attendre le milieu de journée pour arrêter le moteur. La mer, elle, suit les caprices du vent et s’agite de plus en plus. Pendant la nuit, Que Sera file à 7 nœuds dans des conditions qui deviennent plus techniques. La proue du voilier vient taper dans la houle. L’épisode dure quelques heures avant le retour au calme. Nous affalons petit à petit pour éviter d’arriver trop tôt sur la côte canadienne. Les cartes maritimes restent partielles et seuls quelques chenaux sont cartographiés. Naviguer au petit matin avec la lueur du jour est préférable pour éviter une mauvaise surprise. Encore quelques « amis » de glace parsèment la route, obligeant les équipes de quart à rester attentives. Un œil sur le radar, l’autre sur l’horizon, bien qu’il soit compliqué de repérer leur imposante silhouette blanchâtre dans la nuit.
Le 15 septembre, au petit matin, les monts Torngat se dressent devant nous. Un reste de nuages flirte avec les cimes des montagnes. Nous suivons attentivement la trace prévue par Thibaut ; quelques kelps obligent des zigzags pour éviter d’encombrer les safrans, ou pire… l’hélice. Les paysages sont magnifiques et il fait plaisir de retrouver du relief après 4 jours de mer. Fin de navigation vers midi ; Josep envoie 40 mètres de chaîne. L’ancre se prend facilement dans Seaplane Cove, une baie bien abritée du coup de vent plein sud qui arrive ces prochains jours. Le repos s’impose pour le reste de la journée.
À suivre. »
Photos : Cédric Legendre