Carnet de bord du 21 au 28 septembre 2024
« Départ (ou pas ?)
Toujours à Cartwright, la pause devient attente : une forte dépression remonte vers le nord. Rien d’autre à faire qu’à errer tranquillement une journée à bord du bateau.
Reprise d’activité, le 23 septembre. Thibaut repère une fenêtre météo favorable pour descendre la mer du Labrador. La sortie de la baie se fait relativement à l’abri : nous progressons entre les petits îlots et les nombreux brisants qui parsèment la côte. Par moments, des vagues plus puissantes submergent totalement les morceaux de terre les plus plats, déferlant dans de grands panaches blancs. Malgré ce tumulte, les hauts-fonds environnants protègent Que Sera de la houle, et les rafales de vent restent confinées au large.
Humidité. Humidité et fatigue. Ces journées de descente le long de Terre-Neuve semblent interminables. Le soleil n’apparaît que dix minutes par jour. À peine levé, il disparaît derrière l’épaisse chape de nuages qui recouvre le ciel. Par prudence, Thibaut décide de tirer un long bord pour s’éloigner de la côte. La météo reste stable, nous permettant de naviguer par 15 nœuds de vent arrière.
Incident dans la première nuit. Au premier empannage, la manille de l’écoute de grand-voile saute. Thibaut et Josep, alors de quart, s’affairent sur le pont pour récupérer la manœuvre, heureusement sans trop de difficulté. La route vers le sud se poursuit, ponctuée de plusieurs empannages. À part quelques dauphins surfant dans notre vague d’étrave, rien d’extraordinaire à signaler. Sauf peut-être la visite impromptue d’un oiseau égaré. L’animal, après quelques heures de repos sur le pont, disparaît dans le brouillard, en bonne direction de la côte. Boussole naturelle…
Mercredi 25 septembre, 8h. Le prochain mouillage se dessine sous un ciel maussade… pour changer. La beauté du lieu est surprenante. Cachées au milieu de cette petite baie, se dressent plusieurs maisons sur pilotis. Croque est une communauté de pêcheurs d’origine irlandaise. Après avoir ancré notre voilier, puis fait une rapide sieste, nous voilà en visite. Deux anciens épluchent leurs morues sur le ponton. Un échange de mots à l’accent prononcé et nous déambulons sur la piste qui fait office de route. Quelques rires lointains mais nous ne rencontrons personne : aucune voiture, aucun commerce… pas d’âme qui vive. Au détour d’un panneau, nous apprenons que la ville était un point militaire stratégique français pendant la guerre de 7 ans. Retour au bateau.
Le soleil n’a pas encore montré ses premiers rayons que la chaîne de Que Sera est remontée dans un “cling cling” assourdissant. La journée s’annonce merveilleuse et la navigation assez courte : 64 milles nous séparent de La Scie. Josep et Mathieu s’amusent à mettre un peu de toile au moindre coup de vent. Après plusieurs essais infructueux, la GV et le génois finissent par tenir. Le problème, c’est la cap. Pour naviguer vers La Scie, il faut naviguer bout-au-vent… Heureusement, le vent tourne un peu et permet de faire un joli près serré. Le bateau commence à gîter et file à bonne vitesse, sous un grand soleil. Que demander de plus ? Arrivée sous le coup des 17h et première nuit à quai depuis le Groenland. Une fois arrimé au ponton, Que Sera dévoile sa toute sa longueur. On oublie facilement les rapports de grandeur au milieu de l’eau.
Il reste deux jours avant notre destination finale. Dans la traînée d’un bateau de pêche, nous quittons le port de La Scie. Retour d’un temps plus “terre-neuvien”: un grand manteau de brume recouvre toute la côte. Quelques milles et une silhouette se détache d’un bloc de rochers qui ressemble étrangement à un petit Cervin. Cette partie de l’île de Terre-Neuve est un vrai labyrinthe, composée de centaines d’îlots éparpillés. La zone est cependant suffisamment cartographiée pour s’adonner à un peu de contemplation. Le mouillage à Exploits est un endroit calme, et assez réputé en été. Chance pour nous d’arriver hors-saison, il n’y a que nous.
C’est le dernier jour. Le voyage vers Lewisporte qui conclut cette année d’expédition mais aussi 4 années passées dans l’océan Arctique. Thibaut, Charlotte et Josep descendent à terre pour faire un tour dans un forêt primitive : fougères, champignons. L’équipe explore une sente pour finir en haut d’une colline qui domine la baie. Mathieu et moi-même restons sur le voilier. Nous avons la chance de croiser un pêcheur et son père. Curieux, ils nous posent des questions sur notre parcours et nous offrent deux belles morues. De quoi faire le repas du midi et du soir.
Dernière navigation.
La grand-voile est hissée, la trinquette déployée. Avec un grand soleil, les dernières heures sont paisibles. Toute l’équipe profite des derniers instants à bord du voilier. Un dernier échange radio est lancé avec le port pour préciser l’heure de notre arrivée.
17h.
Lentement, Que Sera arrive sur le quai sous l’œil attentif de Brian, le maître du port. Plusieurs personnes ayant reconnu le voilier sont présentes. Un couple s’amuse à voir un nouvel équipage de retour à bon port après deux passages du Nord-Ouest réussis. C’est la fin du périple, demain le bateau sera hors de l’eau pour l’hivernage. Ainsi s’achève ce deuxième passage du Nord-Ouest et ce périple en Arctique.
Bravo à toutes les équipes et merci Que Sera, tu as le droit à un repos bien mérité. »
****
Merci d’avoir suivi ce carnet de bord écrit par les membres d’équipage de ce passage du Nord-Ouest 2024. Retrouvez toutes les œuvres des artistes dans la publication “Sillages”, le numéro 4 à paraître prochainement.
Photos : Cédric Legendre