Cabanes-Tuktoyaktuk_@Corentin-Croisonnier

texte écrit par l’équipage de Que Sera

Carnet de bord du 05 au 11 août 2024

« Nous arrivons tranquillement à Tuktoyaktuk, terre des pingos, de bonne heure ce lundi 5 août, sous un grand soleil. Le mouillage, bien protégé, est situé au cœur du village. Les pingos, de petites collines formées par le permafrost, ponctuent en quelques endroits le paysage tout en longueur. Il fait très chaud, les températures sont estivales. Nous allons à terre pour découvrir le village et croisons ses habitants en shorts et t-shirts, la petite brise éloignant par chance les voraces moustiques. Heureusement, car notre odeur doit se sentir à bonne distance.

Tout autour de la baie se dressent de petites cabanes en bois pour sécher le poisson ; quelques familles en kayak et en bateau à moteur se baladent ou partent à la pêche. Que Sera est le premier voilier de l’année à s’arrêter à Tuk, et nous sommes amicalement accueillis. La ville s’étend sur un petit bras vers la mer, et nous constatons avec surprise que la route, construite en 2017 depuis Inuvik, amène son petit flot de camping-caristes et de bikers qui viennent pour tâter un peu du Grand Nord, mettre un orteil dans l’océan Arctique.

Le soir de notre arrivée, nous préparons un curry avec du whitefish (un corégone à priori) tout juste pêché par le neveu d’Eileen, et nous nous baignons depuis le bateau. L’eau est à 14 degrés dans la baie. Le contraste entre les températures négatives, la glace de ces derniers jours et la douceur de l’air à Tuk est très étrange… L’impact du changement climatique est très palpable dans le Grand Nord.

Après une journée de maintenance du bateau, avitaillement et logistique, nous nous réunissons chez Eileen. Elle tient un restaurant chez elle. La petite table de la cuisine est couverte de plats : côtes de bœuf musqué au miel, morceaux de caribou, poissons séchés, confitures de baies et matak de béluga. De belles photos en noir et blanc recouvrent les murs du salon. On se régale, et Eileen raconte des petits morceaux de son histoire familiale, nous parle des pensionnats, de sa mère centenaire, de son neveu qui se laisse trop faire, du bingo qui démarre à 19 h. Eileen est très drôle et ne se la fait pas raconter. On sent chez cette femme plus toute jeune, aux yeux cerclés de clair, une vitalité et une force de caractère qui ont dû marquer sa communauté.

L’arrivée à Tuk marque la fin du séjour de Tom, Fanny et Megan qui quittent le bord, tandis qu’Estelle, marin, et Corentin, vidéaste, rejoignent le bateau.

Nous nous mettrons en route avec le nouvel équipage pour Cambridge Bay après un passage à la journée portes ouvertes scientifiques. Une communauté de chercheurs et chercheuses assez importante est présente à Tuk et conduit différents projets pour le compte d’institutions gouvernementales canadiennes et d’universités. Nous découvrons leurs recherches : inventaires faunistiques, mesures de l’impact environnemental de la nouvelle route Inuvik-Tuk, projet pour améliorer la cartographie des zones marines de la communauté, développement d’une machine qui mesure l’épaisseur de la glace pour les déplacements en skidoo, etc. Un travail important est à présent mené pour intégrer les communautés au travail de recherche, rendre disponibles les conclusions des études, entremêler techniques modernes et savoirs traditionnels.

Nous entrevoyons, par le biais de ces rencontres, les nombreux enjeux auxquels font face les communautés du Grand Nord dans ces territoires si vastes : adaptation au changement climatique, protection du territoire et du vivant, enjeux socio-économiques, revitalisation culturelle, etc. Au Canada et en Alaska, on sent qu’un mouvement de fond porté par la jeunesse et une transmission des savoirs des anciens permet de réhabiliter une culture ancestrale.

Nous quittons Tuk sous un beau soleil. Les premiers jours en mer en direction de Cambridge Bay se font avec un vent et des températures agréables. Il est bien reposant de naviguer dans ces conditions. La nuit du 10, nous entendons un « BOUM » assez mou sous la coque du bateau, comme quand on tape du bois flotté. En regardant dans le sillage du bateau, nous apercevons un dos noir et un aileron qui plonge dans l’eau. Nous venons de percuter un petit rorqual ou un orque, un événement assez rare qui nous marque. Nous espérons que l’animal n’a pas été blessé et ne souhaitons plus laisser ce genre de rencontre derrière nous… »

Photos : Corentin Croisonnier

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