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texte écrit par Marion de Que Sera

Carnet de bord du 20 au 26 août 2024

« Nous nous mettons en route en direction du Nord, vers une partie plus délicate. Le passage est en train de s’ouvrir. Nous surveillons attentivement les cartes des glaces et nous nous préparons à nous faufiler en direction de Bellot Strait. Des équipiers nous ayant rejoints à Cambridge Bay, Thibaut, nouveau second, et Virginie, artiste à bord, découvrent et prennent en main le bateau.
Nous nous ancrons à Jenny Lind, après 24h de navigation à la voile, pour patienter en attendant l’ouverture des glaces et une bonne fenêtre météo pour passer. Sur l’île, nous découvrons une ancienne station de la DEW Line avec ses grosses antennes, réservoirs de carburant et caisses de déchets en passe de démantèlement. La DEW Line était un réseau de stations radar disposées en ligne dans l’Arctique. Elles étaient dédiées à la surveillance de potentielles invasions de missiles soviétiques en Alaska et au Canada pendant la guerre froide. La vision de ces installations est bien étrange dans ces zones si isolées ! Plusieurs voiliers amis nous rejoignent au mouillage : Pinocchio et sa grande famille,Moli et Dogbark. La situation est favorable depuis quelques jours, nous partons en direction du Nord. La latitude augmente progressivement. L’eau se rafraîchit à mesure que l’on se rapproche de la banquise !

Ça y est, nous naviguons à nouveau entre des plaques de banquise. On essaie d’avancer sans trop ralentir en slalomant avec fluidité entre les morceaux. Le paysage est magnifique, mais il faut toujours rester bien attentif ! La nuit, nous sommes obligés de ralentir fortement. Dans une mer un peu agitée, le bateau tangue comme un sachet de thé, sans l’appui des voiles. Pas toujours simple de bien dormir quand tout bouge de façon un peu anarchique ! Nous apercevons la côte : l’île Prince of Wales à l’ouest, la péninsule Boothia à l’est. Le soir du 23 août, après avoir tenté de passer à travers une zone de glace plus dense, nous devons nous arrêter. Le passage vient de se refermer, et nous devons nous résoudre à patienter au mouillage, en espérant que la baie dans laquelle nous nous sommes ancrés ne reste pas bloquée trop longtemps… Moli, un bateau ami naviguant non loin devant nous, a réussi à se faufiler en direction de Bellot Strait, mais au prix de nombreux efforts et de quelques suées. Pinocchio, situé une heure derrière nous, reste bloqué à l’extérieur de la baie. La glace s’ouvre et se ferme, et il faut une petite dose de chance pour pouvoir s’y aventurer…

Nous passons la nuit au mouillage et patientons le lendemain en consultant la carte des glaces. Le mouillage nous protège du vent qui souffle fort dehors. Nous allumons le poêle, Virginie sort son matériel de dessin, et tout le monde vaque à ses occupations. Soudain, j’entends depuis l’intérieur : “Bélugas !” Je sors dans le cockpit devant un spectacle merveilleux : des dizaines de bélugas sont en train de se nourrir dans notre petite baie. Leurs gros dos blancs glissent hors de l’eau, et tout autour du bateau, nous voyons et entendons leurs souffles. Nous les observons, heureux de pouvoir assister à ce spectacle. Et puis, un énorme ours polaire surgit sur la plage et s’avance en direction du bateau. Est-ce qu’il nous observe ? Il fait doucement demi-tour et disparaît de l’autre côté du versant. Magique !

Le lendemain matin, nous partons de bonne heure. À 4h, le passage semble libre de glace, et nous nous mettons en route pour le passage de Bellot Strait. Ce passage étroit est parcouru par de forts courants de marée. Il faut bien planifier notre heure d’arrivée à l’entrée pour s’assurer d’un courant favorable. La navigation se passe sans encombre, et nous arrivons au détroit de Bellot. L’entrée est cernée de grandes falaises de roches sombres, rouges, grises, marron et striées de veines. On ouvre grand les yeux pour observer ce paysage, et si possible, apercevoir des ours ! Le courant, par endroits, est si fort que nous atteignons par moments la vitesse de 14 nœuds en route de fond ! De grosses marmites de courant apparaissent par endroits, avec de l’eau toute calme entourée de zones plus agitées, un vrai tapis roulant pour Que Sera. Le détroit est rapidement franchi, et nous mouillons dans la baie de Fort Ross. Nous retrouvons avec plaisir tous les voiliers amis rencontrés à Nome. À Fort Ross, nous explorons deux anciens bâtiments de la Hudson Company. L’un des deux, probablement l’ancienne habitation, est maintenant un refuge ouvert à tous. L’ambiance rappelle celle des chalets de montagne, avec des carnets de la cabane, un dortoir, un poêle et quelques réserves de nourriture. Nous restons toujours prudents après notre rencontre avec un ours se promenant de l’autre côté de la baie ! En fin d’après-midi, nous retrouvons tout le monde pour un grand goûter. Les fusils sont alignés à l’extérieur de la cabane, et l’ambiance est détendue. Nous en profitons pour laisser une trace dans le carnet et sur un mur de la cabane, tradition du Passage du Nord-Ouest ! Que c’est étrange et émouvant de retrouver tant de monde dans cette cabane du bout du monde !

À suivre ! »

Photos : Corentin Croisonnier

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