Avec Caroline Bouchard, Chercheuse et spécialiste en écosystème marins pélagiques et de la morue polaire
au Centre de recherche climatique du Groenland de l’Institut Groenlandais des Ressources Naturelles
La morue polaire, une espèce clé de l’écosystème arctique
D’une moyenne de 20 à 40 cm, la morue polaire est un poisson au centre de la chaîne trophique en Arctique (ensemble des relations qui s’établissent entre des organismes en fonction de la façon dont ceux-ci se nourrissent). Elle se nourrit de zooplancton, et est mangée à son tour par toutes sortes d’animaux : narvals, bélougas et oiseaux marins.
La chercheuse Caroline Bouchard l’appelle « la sardine du nord », car il s’agit d’une espèce qui permet de nourrir de nombreuses espèces de prédateurs dans ces écosystèmes dont la production d’énergie est basée sur le transfert de lipides. La morue polaire est une espèce pélagique, c’est-à-dire qu’elle peut vivre près du fond mais également dans toute la colonne d’eau.
Pendant l’hiver, les morues polaires sont en agrégation près du fond, leur période de frais (ponte) s’étend de janvier à mars. Les œufs vont monter à la surface et vont se retrouver sous la surface de la glace pour une période d’incubation dépendante de la température d’environ 2 mois. Après l’éclosion des œufs, autour du printemps concomitant avec l’éclosion de vie du plancton, les larves font la course aux lipides pendant l’été pour s’alimenter. Quand les larves sont assez grandes, environ 35 mm, elles commencent à descendre vers le fond vers septembre-octobre pour rejoindre le reste de la population. Les morues polaires vivent environ 5 ans et commencent à pondre après 3 ans.
La chercheuse Caroline Bouchard
Réceptacle à plancton
Vue d’un échantillon prélevé
Une campagne d’échantillonnage réalisée à bord du Mauritius
Mené avec Caroline Bouchard, l’échantillonnage réalisé sur le Mauritius consiste à déployer un filet à plancton (bongo net) pour la récolte du zooplancton et des larves de poissons. Le filet est descendu à une profondeur d’environ 40 m pendant une trentaine de minutes. Le filet est également muni d’une sonde CTD qui permet de mesurer la salinité, la température et la profondeur au fur et à mesure de la descente et de la remontée du filtre dans la colonne d’eau. Une fois le filet remonté, une soupe de plancton est récupérée et conditionnée sur le bateau avant transfert au laboratoire à Nuuk.
Au laboratoire, les échantillons sont triés et les larves séparées du plancton. Chaque larve est identifiée et mesurée et des analyses complémentaires telles que des extractions d’otolithes (concrétions calcaires présentes dans l’oreille interne des larves et poissons qui permettent une indication sur l’âge du spécimen) et des analyses des contenus stomacaux. Une analyse taxonomique peut être conduite sur le plancton pour identifier les espèces et leur abondance.
Mise à l’eau du filet bongo…
…et remontée (sportive) du filet bongo
Sensibilité au changement climatique
La morue polaire et ses œufs et larves sont très sensibles aux changements de température et notamment aux changements qui ont lieu en surface. Le cycle de vie de la morue étant relativement court, la taille de la population peut varier très rapidement.
En 2019, l’eau en surface a atteint 8 à 10°c dans certaines zones de l’ouest groenlandais et très peu de larves et œufs ont pu être échantillonnés, indiquant une forte mortalité de l’espèce.
Une évolution de l’abondance et de la répartition des morues polaires avec le changement climatique peut avoir de grandes répercussions sur les écosystèmes arctiques dans leurs globalités.
Carte des prélèvements effectués en juin à bord du Mauritius
Photos : Marion Cherrak, coordinatrice scientifique à bord – Pacifique